Il me semble qu’un paradoxe important flotte actuellement par-dessus le monde de l’éducation et de la pédagogie : l’utilisation de l’écran en classe. Que ce soit par des vidéos diffusées sur l’écran interactif, des logiciels d’aide à la lecture ou à l’écriture, des activités impliquant la réalité virtuelle ou de simples applications pédagogiques mobiles, l’utilisation de l’écran sous toutes ses formes est devenue un outil de transmission des savoirs prisé et respecté dans les milieux scolaires.
En contrepartie, des résultats d’études scientifiques sérieuses se mettent à émerger dans les médias populaires nous avertissant des dangers importants de la surexposition aux écrans, peu importe le contenu diffusé. On parle, entre autres, d’hyperactivité, de dépendances et de baisse de motivation scolaire générées par des heures et des heures d’exposition souvent non supervisées. On peut bien continuer à vanter les mérites de notre téléphone intelligent, de notre tablette ou de notre montre connectée, il devient de plus en plus difficile de faire abstraction que les écrans ont un effet notable, de plus en plus documenté, sur les capacités exécutives (organisation, planification, inhibition) des enfants et adolescents de notre ère numérique.
Dans un monde où les sens d’un enfant seront plus stimulés devant un écran à la maison que dans la salle de classe, l’enseignement magistral traditionnel est mis à rude épreuve. L’enseignant n’a plus vraiment d’autres choix que d’utiliser un support visuel multimédia, ayant comme source un écran, pour capter l’attention de temps à autre. Il faut voir s’activer les élèves les plus en difficulté au niveau de la concentration dans une classe lors d’une projection vidéo pour comprendre le phénomène : l’écran fascine et capte l’attention. Et les applications pédagogiques sur les téléphones intelligents, et les systèmes d’émulation préfabriqués sur des sites web, et les nuages de stockage de données, et les plateformes de remise de devoirs, et j’en passe. Ils en sont avides.
Soyons honnêtes : nous tentons de combattre les conséquences du monde submergé d’écrans dans lequel nous vivons par l’ajout d’écran dans la pédagogie. Combattre le feu par le feu. Si l’on ne peut les vaincre, joignons-les.
Soit. Il devient évident que l’écran tactile remplacera, un jour, le crayon et que le pédagogue ne pourra se permettre de se cacher derrière des méthodes archaïques qui ne sauront plus satisfaire des esprits qui apprennent en multimédia. Du fait de notre consommation d’écrans divers dans toutes les sphères de notre vie, nous validons ce type de société et nous y participons activement. Difficile de blâmer les élèves; c’est pourquoi le type de pédagogie-écran suit.
Cependant, nous pourrions faire mieux. L’enseignement explicite nous dicte que nous devrions faire l’apprentissage de stratégies d’apprentissage de façon, comme son nom le dit, explicite. Il s’agit d’enseigner les procédures, le « comment faire ». On remarque que ce type de pédagogie fonctionne particulièrement bien avec des élèves en difficulté, élèves qui doivent avoir un « guide » alors qu’ils sont la plupart du temps en surcharge cognitive du fait qu’ils tentent de compenser leur difficulté. Ironiquement, et c’est ici une opinion personnelle fondée sur quinze années d’observation, ce sont les élèves les plus en difficulté qui bénéficient de la pédagogie-écran, cette dernière mettant des images sur des concepts.
Ces mêmes élèves à risque de surexposition, de dépendance.
Activons-nous donc à expliciter l’écran. Donnons-leur un enseignement d’une utilisation adéquate de cette technologie et tentons de leur montrer qu’il doit y avoir une hygiène relative à son utilisation. Apprenons-leur les stratégies qui feront qu’ils n’en seront pas dépendants et faisons-leur comprendre qu’une application ne remplace pas leur jugement ou leur mémoire.
Auteur : Pierre-Yves Longval, orthopédagogue École secondaire Henri-Bourassa